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Éoliennes : à la campagne, des oppositions en rafale

Depuis le développement de l’énergie éolienne en France dans les années 2000, la filière fait face à une opposition quasi systématique de la part de collectifs de riverains et de groupes de pression. Retour sur les origines de la lutte de l’Association de préservation des paysages exceptionnels du Mézenc, en Haute-Loire, l’une des premières en France à sortir victorieuse de l’opposition entre les anti et pro-éolien.

02.03.2018 par Julia Beurq

Les éoliennes de Freycent-Latour situé sur le plateau du massif du Mézenc.

En Haute-Loire, il y a quatre parcs éoliens, dont celui de Freycenet-Latour qui est situé sur le plateau du massif du Mézenc. C'est l'un des seuls projets que les anti-éolien n'ont pas réussi à faire annuler en totalité. (Crédit photo : Julia Beurq)

À 78 ans, René Valla fait figure de bête noire pour les promoteurs de l’énergie éolienne en Haute-Loire. Et il n’en est pas peu fier. « Avec notre association, nous avons déjà réussi à faire échouer presque tous les projets de parcs éoliens du département, on est déjà allés jusque devant le Conseil d’État, et on n’hésitera pas à le refaire s’il le faut ! », assure-t-il sans détour. Depuis 2002, date de création de l’Association de préservation des paysages exceptionnels du Mézenc (APPEM), cet ancien salarié de la firme pétrolière Elf mène une croisade sans fin pour protéger « la beauté des paysages » de son département où il est venu profiter de sa retraite.

Dès les débuts de la filière éolienne en 2001, une opposition conséquente, à l’image de celle représentée par René Valla, s’est mise en place sur tout le territoire français. Au début balbutiante, car très peu organisée, celle-ci s’est structurée au fil des années jusqu’à devenir extrêmement puissante. Et efficace : « Les trois quarts des projets sont attaqués en justice par les associations anti-éoliennes », estime le Syndicat des énergies renouvelables (Ser). Paul Duclos, responsable de la filière au sein de l’organisme, poursuit : « Même si 80% des recours n’aboutissent pas, ils ralentissent largement le développement de l’énergie éolienne en France : les projets éoliens mettent huit ans à voir le jour, contre cinq ans pour la moyenne européenne. »

Les trois quarts des projets sont attaqués en justice Partager

Dans le Massif central, les actions en justice de l’APPEM illustrent bien ce phénomène : en moins de dix ans, trois potentiels parcs éoliens sont tombés à l’eau. L’offensive de l’association commence contre un projet de 16 éoliennes situées à moins d’une dizaine de kilomètres du mont Mézenc, le sommet emblématique du département et classé par une loi de 1930. Ni manifestations, ni pétitions, comme c’est souvent le cas aujourd’hui, car « avant, les promoteurs avaient l’habitude d’intimider les opposants », soutient René Valla. L’association s’organise donc en interne pour ficeler son argumentaire. « À l’époque, on avait un avantage : les dossiers des promoteurs n’étaient pas très bien ficelés », continue-t-il. « De notre côté, nous avions des experts locaux dans tous les domaines, dont un architecte des paysages qui a pu descendre l’étude du promoteur. » En 2003, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand rejette la demande d’annulation des permis de construire – décision cassée deux ans plus tard par la cour d’appel de Lyon. Grâce à un « bon avocat parisien », le Conseil d’État finira par enterrer le projet quelques années plus tard. Un parcours long, mais classique, que n’hésitent pas à emprunter les collectifs anti-éolien dans toute la France et souvent largement relayé par la presse locale.

En Haute-Loire, le mont Mézenc qui est un site classé, culmine à 1753 mètres d'altitude.

Le mont Mézenc est le sommet emblématique de Haute-Loire. L'APPEM essaie d'empêcher la construction d'éoliennes autour de ce site classé. (Crédit photo : Julia Beurq)

« À l’époque, l’État ne voulait pas implanter des éoliennes à tout prix, donc aujourd’hui, le combat est différent », conclut René Valla. Effectivement, la situation a un tantinet évolué depuis ces années-là. Comme la France accuse un gros retard quant aux engagements qu’elle a pris en matière de transition énergétique, elle devrait presque doubler sa capacité de production d’électricité à partir d’éolien d’ici 2023 : c’est-à-dire installer entre 21,8 et 26 gigawatts (GW) contre 13,7 gigawatts existants fin 2017. Ainsi, l’APPEM se retrouve de nouveau à se battre contre cinq éoliennes hautes de 150 mètres en bout de pale. D’une puissance de 3,45 MW chacune, elles devraient voir le jour sur la commune des Vastres, située à 7 kilomètres du mont Mézenc. L’étude d’impact terminée en 2016 et la consultation publique prolongée jusqu’au 7 mars, le sort du parc est actuellement dans les mains du préfet qui doit rendre sa décision au mois de juin.

Des opposants aux profils très différents

« Quel que soit le type de projet, il existe une opposition quasi systématique aux éoliennes, mais selon moi, elle relève de deux philosophies différentes », soutient Diane Alesandrini, de BayWa r.e. France, l’un des porteurs de projet aux Vastres. « D’une part, il y a ceux qui y sont opposés par principe idéologique, comme les gens de l’APPEM, et d’autre part les riverains inquiets, notamment quant à la dévaluation de leur bien immobilier. Ça je peux le comprendre. »

Jean-Pierre Dandois, le maire des Vastres devant la carte de sa commune.

Jean-Pierre Dandois, le maire des Vastres est partisan des énergies renouvelables. Il soutient le projet de parc éolien sur sa commune. (Crédit photo : Julia Beurq)

Beaucoup d’entre eux sont d’ailleurs victimes du phénomène Nimby, en anglais « Not In My BackYard », qui signifie « pas dans mon jardin ». C’est le cas de Paulette Chanal, 70 ans, dont le projet aux Vastres, lui a causé bien des « insomnies ». Jusqu’à récemment, cette éducatrice spécialisée à la retraite menait une existence paisible à Fay-sur-Lignon, petit village limitrophe des Vastres, perché à plus de 1 000 mètres d’altitude, célèbre pour sa foire aux chevaux annuelle et ses neiges qui ne fondent que très tard dans l’année. Mais bientôt, depuis son fauteuil favori, ce ne sera plus la montagne et la forêt qu’elle pourra observer à perte de vue, mais « des machins industriels » qu’elle aura dans son champ de vision à 600 mètres de chez elle, soit à peine 100 mètres au-delà de la réglementation en vigueur. « Le problème ce n’est pas l’éolien en soi, c’est juste que le projet n’est pas adapté pour ici », tient à préciser d’emblée Paulette Chanal, pour ne pas être taxée de pro-nucléaire, ni d’opposante aux énergies renouvelables.

Je crains les nuisances visuelles et sonores Partager

« Dire que l’éolien c’est bien, mais ailleurs, ce n’est pas valable ! Il faut se diriger vers une véritable transition énergétique », a lancé Diane Alesandrini le 14 février dans le bourg de Saint-Julien-Chapteuil – « un lieu neutre » -, pour une réunion d’information. Celle-ci s’annonçait tendue entre une partie des habitants de Fay-sur-Lignon contre le projet, et ceux des Vastres, dont le maire le soutient depuis de nombreuses années. « Chacun doit prendre sa part », avance-t-elle, rappelant que l’ancienne région Auvergne est importatrice d’électricité et ne produit pas suffisamment pour sa propre consommation. Mais les habitants de Fay-sur-Lignon semblent peu intéressés par les enjeux de la politique énergétique française : « J’ai choisi de revenir ici pour ma retraite, ce n’est pas pour subir des nuisances visuelles et sonores et ça, personne ne le prend en compte », estime celle qui malgré le fait qu’elle soit « du pays », a fait toute sa carrière « à la ville », du côté de Lyon.

Paulette Chanal, une habitante de Fay-sur-Lignon qui s'oppose aux éoliennes des Vastres.

Paulette Chanal, 70 ans, s'oppose aux 5 éoliennes de 150 mètres de haut qui devraient voir le jour à 600 mètres de chez elle, sur la commune des Vastres. (Crédit photo : Julia Beurq)

Pour Diana Gueorguieva-Faye, anthropologue de l’environnement qui a étudié l’implantation des éoliennes dans les campagnes françaises, l’hostilité aux projets éoliens qui règne dans les zones rurales s’explique aisément. « Nous avons un territoire rural, d’où la présence de l’État se retire progressivement […] c’est en même temps un territoire qui focalise les rêves de citadins pour un cadre de vie meilleur : une nature intacte, une vie au rythme moins effréné et aux contacts plus humains. […] La part des agriculteurs diminue et le regard posé sur la campagne s’avère de plus en plus citadin. L’opposition entre production et protection des espaces naturels est de plus en plus forte. L’arrivée des éoliennes dans cet espace peu peuplé, à l’habitat dispersé, a provoqué une vive réaction. »

Au-delà des personnes se réclamant des « amoureux du paysage » et de ceux qui préféreraient voir les éoliennes chez les autres, le mouvement anti-éolien se montre composite : sur le terrain, des opposants aux profils variés se côtoient. Certains écologistes critiquent par exemple « l’industrialisation des campagnes » et la « spécialisation des territoires », ils condamnent plus globalement le système énergétique français – à l’image du combat que mène la Zad de l’Amassada contre la construction d’un transformateur et de 1 000 éoliennes dans l’Aveyron.

Une lutte menée sur la toile et en justice

Si les collectifs anti-éoliens sont très actifs au niveau local, ils se retrouvent souvent soutenus par des groupes de pression plus importants œuvrant au niveau national. Parmi les plus puissants, l’association Vent de colère créée en 2002, à l’origine contre un projet éolien dans l’Aude, et la Fédération d’environnement durable (Fed), dont la seule proposition en terme de durabilité énergétique réside en un développement du nucléaire. Jean-Louis Butré, le président de cette dernière, tient à préciser que « la Fed rassemble 1 300 collectifs très différents, aux idéologies politiques qui vont de l’extrême gauche à l’extrême droite ». « On ne prend aucunement parti à tout ce qui concerne la polémique autour du nucléaire ou du réchauffement climatique, chacun a le droit de penser ce qu’il veut… », complète celui que l’on taxe pourtant de proximité avec des personnalités reconnues comme étant pro-nucléaires, telles l’ancien patron d’EDF (1979-1987) Marcel Boiteux,  ou encore Valéry Giscard d’Estaing, qui a préfacé un de ses ouvrages.

Ces groupes de pression développent une stratégie parfaitement rodée. Leur premier levier d’action se situe en ligne. Si les arguments concernant la conservation des espèces et des espaces naturels trouvent bien souvent écho auprès des juges, certains chiffres mis en avant sur les sites anti-éolien sont utilisés de manière peu loyale et contrés de l’autre côté, par les promoteurs éoliens ou encore les associations qui militent pour la transition énergétique.

Pancarte, opposition aux éoliennes.

À Fay-sur-Lignon l'opposition est très marquée contre les éoliennes. Certains habitants sont contre un projet situé sur la commune voisine. (Crédit photo : Julia Beurq)

Sur Internet toujours, la Fed met à disposition des kits juridiques à l’intention des petites associations locales qui souhaitent contester un projet éolien. « Les acteurs locaux vont aller chercher un soutien auprès de ceux nationaux », soutient Paola Orozco Souël, fondatrice de Courant porteur, une entreprise chargée de mener des concertations publiques autour de projets d’énergies renouvelables. « Il est important que ces petits collectifs s’expriment, mais parfois ils avancent des arguments parachutés depuis l’extérieur et qui n’ont rien à voir avec la situation locale. Il peut exister une forme d’instrumentalisation de la part des structures nationales qui, pour des questions de rapport de force, ont besoin d’une mobilisation locale. »

Le deuxième combat de ces lobbys passe par la justice. Depuis 2008, la Fed et Vent de colère ont attaqué au Conseil d’État toutes les décisions administratives réglementant l’énergie éolienne : les nombreux arrêtés fixant les conditions tarifaires de vente de cette énergie (sans pour autant mener le même type de combat contre les tarifs de rachat du photovoltaïque, pourtant équivalent), l’autorisation environnementale unique, les Schémas régionaux éoliens (SRE) qui déterminent les zones où l’on peut installer des éoliennes, etc. Tous ont fait l’objet de requêtes, et pour la plupart, les armées de juristes des deux associations ont eu gain de cause, même devant la Cour européenne de justice en 2013. À l’époque, cette décision avait eu pour conséquence de ralentir largement le développement des projets éoliens.

Les naturalistes dans l'embarras

La question des éoliennes est tellement complexe qu’elle divise même les écolos et les associations de protection de la nature. Que l’on soit naturaliste désireux de préserver les habitats naturels des animaux ou engagé dans la transition énergétique, on ne voit pas les choses tout à fait du même œil. « À la LPO, nous sommes évidemment pour le développement des énergies durables, mais nous n’avons aucun scrupule à faire des recours contre des projets si ceux-ci ne respectent pas la séquence ‘éviter, réduire, compenser’ (ERC) », explique Geoffroy Marx en charge du programme éolien et biodiversité à la LPO.

La question des éoliennes divise chez les écolos Partager

Une position ambiguë, mais largement assumée par cette association. « Nous nous retrouvons en tampon entre les promoteurs de l’énergie verte et les associations anti-éolien, qui voudraient que la LPO s’implique plus contre les projets. Objectivement, en ce qui concerne la biodiversité, on ne peut pas s’opposer à tous les projets, car ils ne sont pas tous problématiques. Dans cette course aux chiffres et à la désinformation, il n’est pas évident de porter un regard scientifique… » Un constat partagé par France nature environnement (FNE). « Au sein de notre fédération, c’est vrai, il existe des tensions autour de ce sujet-là, mais on trouve plus intéressant de l’assumer, d’en discuter, plutôt que de dire, ‘nous on ne s’intéresse qu’aux oiseaux donc on est contre les éoliennes’, ce qui ne réglerait aucun problème », explique Maryse Arditi spécialiste des questions énergétiques chez FNE.

Des positions sur lesquelles le gouvernement pourrait s’appuyer pour amoindrir la contestation des territoires. En janvier, Sébastien Lecornu, le secrétaire d’État auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire, proposait de supprimer un échelon de juridiction afin de limiter les recours des associations anti-éolien. De quoi mettre vent debout la Fed et Vent de colère.

 

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Cordialement
Jean-Louis Butré

Président
Fédération Environnement Durable

http://environnementdurable.net

contact@environnementdurable.net
tel 06 80 99 38 08


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