Échos > 2020 > Agriculture. Animaux victimes de troubles d’origine électrique : les éleveurs en justice
France
Des vaches qui produisent moins de lait et de mauvaise qualité, des veaux qui ne grossissent pas correctement, une mortalité anormale du cheptel… Les éleveurs, membres de l’Anast (Association nationale des animaux sous tension), décrivent en général les mêmes symptômes. Une dizaine d’entre eux s’apprête à engager des poursuites judiciaires pour faire reconnaître des troubles électriques ayant perturbé la santé de leurs animaux. Ces perturbations seraient liées, selon eux, à l’installation de ligne haute tension, d’antenne-relais ou de champs d’éoliennes à proximité de leur exploitation.
Premier à se lancer : Alain Crouillebois, producteur de lait à La Baroche-sous-Lucé, chez qui l’Anast a tenu, mardi 28 janvier 2020, une conférence de presse. « Dès la semaine prochaine, je vais adresser une réclamation à Enedis (ex ErDF) sur le fondement du trouble anormal de voisinage, a annoncé François Lafforgue, avocat de l’association et associé du cabinet parisien TTLA, connu pour défendre les victimes de l’amiante et des pesticides. En fonction de la réponse, nous saisirons le tribunal judiciaire. » Une dizaine d’autres actions du même type devraient suivre en février. « Une vingtaine d’éleveurs nous ont saisis. Mais il faut pouvoir documenter les plaintes, c’est un travail long et fastidieux. »
Dans la ferme d’Alain Crouillebois, les perturbations électriques ont débuté en 2012 après qu’Enedis a enfoui, quelques mois plus tôt, une ligne moyenne tension de 20 000 volts à seulement vingt mètres du bâtiment des veaux. « La production laitière a chuté progressivement de 34 à 21 litres de lait par jour et par vache […] Les animaux se regroupaient au même endroit et désertaient une partie de la stabulation… Au lieu de peser 200 kilos, les veaux âgés de six mois n’atteignaient que 85 kilos. Ils n’allaient pas boire à l’automate. Il a fallu en euthanasier. »
À l’autopsie, le vétérinaire ne décèle aucune anomalie. Pas de problèmes sanitaires ni de qualité de fourrage non plus. L’éleveur travaille avec le GSPE, Groupement permanent pour la sécurité électrique, créé en 1999, sous l’égide du ministère de l’Agriculture pour comprendre l’origine des troubles. Malgré des travaux dans les bâtiments d’élevage, rien n’y fait. « Le GSPE essaie de rejeter la faute sur l’éleveur », dénonce Alain Crouillebois. Le 4 juin 2019, après huit ans de descentes aux enfers, l’éleveur décide, à ses propres frais, de déplacer la ligne électrique à 150 mètres de son exploitation. Suivant l’exemple d’un éleveur finistérien.
« J’ai sauvé mon élevage » , avoue-t-il. Sept mois plus tard, les vaches sont revenues à une production de qualité et de 31 litres par jour. Les veaux ne meurent plus. « Les animaux ont retrouvé un comportement normal. » C’est d’ailleurs la conclusion du rapport d’un vétérinaire. Des attestations de techniciens font aussi état de « l’altération du comportement des animaux due à des facteurs extérieurs ». Selon l’éleveur, la conductibilité du sol serait en cause. L’installation de la ligne électrique, dans une zone humide, aurait provoqué des courants parasites. « Depuis 1995, nous réclamons une étude du sol et du sous-sol avant l’implantation d’équipements électriques » , s’indigne Serge Provost, président de l’Anast qui parle de « scandale sanitaire » frappant de très nombreux élevages.
Pendant huit ans, Alain Crouillebois aura perdu de 3 000 à 5 000 euros par mois. « Le GSPE ne cherche pas à établir la vérité, mais il cache les problèmes en faisant signer des clauses de confidentialité aux éleveurs » , affirme Serge Provost qui met en cause « un lobby de l’électricité ». François Lafforgue rappelle que « des solutions d’indemnisation ont été trouvées pour éviter que les dossiers aillent en justice… » Mais, pour le ministère de l’Agriculture, « le GSPE n’a pas établi de relation de causalité entre les symptômes relevés sur des animaux d’élevage et les ondes électromagnétiques ».