France
Après les projets d’éolien en mer de Courseulles-sur-Mer (Calvados), Fécamp et Le Tréport (Seine-Maritime), actuellement embourbés dans de véritables feuilletons judiciaires, le gouvernement veut impulser un quatrième projet à l’horizon 2021 en Normandie.
Et pas des moindres. L’idée est de créer un parc d’un gigawatt (GW), soit le double des trois premiers parcs, et « l’équivalent d’une centrale nucléaire », avait assuré François de Rugy, l’ancien ministre de la Transition écologique, lors d’une visite au Havre, vendredi 11 avril 2019. Mais faire accepter ce projet aux Normands, qui ont été plutôt réticents à l’émergence des trois premiers parcs, n’est pas une mince affaire.
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Le gouvernement a alors missionné Jean-Pierre Tiffon, le président de la Commission particulière du débat public (CPDP), pour organiser un débat public autour de ce futur quatrième parc éolien maritime normand. Ce débat public se voulait innovant, « en impliquant en amont les Normands, avant même le choix du lieu d’implantation et du maître d’œuvre », expliquait Jean-Pierre Tiffon, lors d’un interview le 27 juillet 2019.
La stratégie de ce nouveau débat public, lancé fin juillet 2019, se voulait très différente de celle que les Normands ont pu vivre pour les trois premiers projets, où le site d’implantation des éoliennes était déjà défini et le projet modifiable seulement à la marge. Jean-Pierre Tiffon déclarait même que « si dès le début, nous n’observons que des réticences, il est possible que nous alertions le gouvernement et nous lui conseillions une autre l’implantation pour ce projet ».
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Mais depuis décembre 2019, trois démissions au sein de cette CPDP, dont celle de Jean-Pierre Tiffon, ont mis la puce à l’oreille du Comité régional des pêches maritimes et des élevages marins de Normandie qui participe activement à ce débat public. « Le Comité s’interroge sur ces démissions en cascade et ne peut s’empêcher de faire le lien avec le déroulement en parallèle, par un État imperturbable, de désignation de une à deux zones d’implantation de ce nouveau parc d’un GW. Dès lors, quel intérêt représente la Commission de débat public ? », écrivent les pêcheurs normands dans un communiqué, mardi 21 janvier.
L’un des démissionnaires de la CPDP a accepté de nous parler sous couvert d’anonymat. « Le gouvernement veut juste une localisation. On pensait pouvoir discuter de tout, même de la pertinence de faire ce projet ici et maintenant mais en fait, le ministère n’a pas cette ouverture », lâche-t-il avec déception. Cet ancien membre de la Commission particulière du débat public dit s’être retrouvé « dans un paradoxe et une contradiction » par rapport à ses interlocuteurs sur le terrain. Il a donc préféré se retirer.
De son côté, le nouveau président de la CPDP, Francis Beaucire, tout fraîchement nommé, se veut optimiste. « Le scénario du refus total du projet existe encore dans les réponses que nous apporterons au ministère, assure-t-il. Les termes du débat n’ont pas changé, nous sommes encore dans un système ouvert. »
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Francis Beaucire rappelle que la Commission est un organisme totalement indépendant : « On ne nous a pas donné pour mission cachée de faire avaler quelque chose au public ». Cependant, l’homme rappelle que le contexte législatif dans lequel s’inscrit désormais le débat public a évolué :
Depuis l’automne 2019, avec la loi énergie-climat qui stipule un parc d’éolien en mer d’un gigawatt par an, des projets seront mis en place un peu partout. Nous pouvons donc comprendre les inquiétudes des pêcheurs : est-ce que cela veut dire que c’est plié ?
Mais Francis Beaucire assure que l’objectif de ce débat public est de « faire sortir l’entente et la divergence des différentes familles d’experts : les scientifiques, de la maîtrise d’ouvrage (le ministère de la Transition écologique, ndlr) et les usagers du littoral ». « Nous ne sommes pas là pour arbitrer, mais nous sommes là pour que toutes les expressions soient faites. C’est pour cela que nous demandons à chacun de vraiment argumenter sa position. »
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Le débat public prendra fin en mai 2019. Ensuite, ce sera le maître d’ouvrage, ici le ministère de la Transition écologique, qui aura le dernier mot. Car même s’il doit motiver sa décision à la CPDP, il n’a pas l’obligation de tenir compte des conclusions du débat public. « Mais on espère toujours que le maître d’ouvrage en tienne compte. Sinon, la CPDP n’a plus lieu d’être », souligne Francis Beaucire.
Si l’on regarde dans le rétroviseur des débats publics, selon un document de la Commission nationale du débat public publié en juin 2019, sur 91 débats publics menés, « 88 projets ont été infléchis ou modifiés, trois ont été abandonnés ». De quoi redonner de l’espoir et de la confiance aux Normands ?
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