France
par Charles Merlin, le 26 novembre 2018
Au moment où j’écris ces lignes, la révision de la nouvelle Planification pluriannuelle de l’énergie (PPE), vient encore d’être reportée, et devrait être publiée le 27 novembre 2018, avec plus de trois mois de retard.
Derrière ce document se cache la feuille de route de long terme du gouvernement français en matière d’énergie. Une première version avait été publiée sous Hollande, accompagnant la loi sur la Transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) de 2015, et devait normalement être révisée tous les cinq ans. Cependant cette PPE de 2016[1] était extrêmement vague, à l’habitude de Ségolène Royal, notamment sur le nucléaire, où elle affichait seulement l’objectif irréaliste d’une réduction de la part du nucléaire à 50% en 2025 sans aucun autre détail …
Face à ce flou artistique typique de l’administration précédente, le nouveau président Emmanuel Macron a décidé d’établir une seconde PPE, qui devait définir précisément la stratégie de l’Etat en matière d’énergie, avec comme objectifs de réduire les émissions de gaz à effet de serre tout en préservant le pouvoir d’achat des Français … Ou plutôt, qui aurait dû, puisque ce qu’il en ressort finalement est une volonté de lancer une transition du système électrique sans justification sous-jacente, tandis que les secteurs d’action auraient dû être de toute évidence le chauffage ou encore le transport.
Ainsi, ce qui aurait dû être une politique de lutte contre les causes du réchauffement climatique et la pollution, causes chères au président nommé « Champion de la Terre »[2], s’est transformée en course à l’échalote sur le mix électrique français et notamment sur son parc électronucléaire. Rappelons-le, celui-ci permet à la France d’avoir le secteur électrique le moins émetteur de gaz à effet de serre et le moins polluant du G20[3], ainsi que des prix de l’électricité particulièrement stables et bas, ainsi qu’une une forte indépendance énergétique.
Nous en sommes donc à abattre le dernier secteur où nous avions une avance sur le reste du monde, Si nous nous débrouillons bien, nous allons aussi connaître les mêmes déboires que nos voisins européens, qui par leur choix plus que questionnables, ont une électricité plus chère et plus polluante que la nôtre.
Cet article s’attachera donc à présenter un des plus grands gaspillages de ressources de l’histoire moderne, et montrer comment la France s’apprête à balancer un peu plus d’argent dans le magot déjà envolé de ses voisins.
Peu de gens mesurent le gâchis qu’ont été les investissements dans les renouvelables non hydrauliques européens.
En 2003, l’éolien et le solaire représentaient à eux deux à peu près 3,5% de l’électricité produite dans l’Union européenne. Pour les années 2016 et 2017, en moyenne, l’éolien y a contribué à hauteur d’environ 10% et le solaire, à peu près 3,5%. Ces plus de 10% de part de marché représentent aujourd’hui environ 320 TWh/an d’électricité, sur un total de production européenne d’environ 3300 TWh/an.
Cette progression peut paraître respectable, jusqu’à ce que l’on en donne le coût : les investissements dans les renouvelables de 2004 à 2017 au niveau européen forment un total de plus de 965 milliards de dollars, soit environ 850 milliards d’euros sur 14 ans[4], et cela ne concerne que les investissements directs.
A titre de comparaison, un EPR produit 14 TWh/an, et même au coût FOAK (First Of A Kind) du prototype de Flamanville d’à peu près 10 milliards d’euros, les 23 EPR qui correspondent aux 320 TWh/an du solaire et de l’éolien ne coûteraient que 230 milliards d’euros. Une estimation plus réaliste du coût moyen NOAK (Nth Of A Kind) d’un EPR à 6 milliards d’euros (voir moins)[5] dû à une telle production en série engendrerait un coût total de seulement 140 milliards d’euros.
Avec des différences majeures : un EPR a une durée de vie minimale de 60 ans, quand une éolienne atteinte difficilement 25 ans, et une installation solaire 20 ans. Sans compter qu’à cause d’une intermittence plus ou moins aléatoire et les sauts de fréquence électrique, l’éolien et le solaire nécessitent des backup pilotables (nucléaire, charbon ou gaz), des solutions de stockage de masse encore inexistantes et des adaptations réseaux pour être exploitables, qui font exploser l’addition. Ainsi on estime que le coût total de l’Energiewende, la transition énergétique allemande, se chiffre à elle seule à 580 milliards de dollars, et pourrait atteindre 1000 milliards de dollars d’ici 2030.
En résumé, les chiffres indiqués plus haut pour la transition électrique européenne déjà entamée sont bien plus bas que le coût réel à terme.
De plus, il est important de noter que les investissements dans le solaire et l’éolien profitent de nos jours en grande partie à l’industrie chinoise[6], leader du marché, quand la construction d’EPR engendrerait un ruissellement sur l’industrie européenne, et surtout française.
En fait, le problème du backup est même bien plus lourd que ce qui avait pu être envisagé. Ainsi, lorsque l’on regarde le mix allemand, on remarque que la capacité installée pilotable ne décroît pas, alors que la consommation est restée quasi-constante. Cela indique qu’avec ou sans renouvelables non hydrauliques, les investissements à faire dans le pilotable restent les mêmes.
Autrement dit, introduire de l’éolien ou du solaire ne diminue pas le nombre de réacteurs nucléaires ou de centrales fossiles nécessaires sur le réseau : ce sont des investissements incompressibles à terme. Et lorsque l’on sait que l’investissement et les charges fixes d’exploitation forment l’essentiel (90%)[7] du coût de l’électricité produite par le nucléaire, on comprend alors que le coût moyen de l’électricité ne peut que croître avec l’introduction de sources intermittentes dont on aurait pu très bien se passer.
Ainsi pour le cas français, le nombre de réacteurs nucléaires ne peut diminuer sans l’introduction d’autres sources pilotables, c’est-à-dire du gaz, et le coût du combustible (uranium) n’ayant presque pas d’impact sur le prix de l’électricité, le développement de l’éolien et du solaire sera de l’investissement totalement inutile, dont le seul effet sera de rendre le kWh plus cher, comme on l’a déjà observé dans le reste de l’Europe.
Chiffrons un peu mieux combien coûteraient les différents projets français en matière de solaire et d’éolien.
Tout d’abord, EDF projette de mettre sur la grille 30 GW de capacité solaire[8], soit 3 GW effectifs lorsque l’on sait que le facteur de disponibilité, la proportion moyenne de la capacité installée réellement utilisable, est de seulement 10% en France pour le photovoltaïque.
Ces 3 GW correspondent à moins de deux EPR, ils seraient installés sur 15 ans entre 2020 et 2035 et il faudrait les remplacer tous les 20 ans. Le coût serait à l’heure actuelle de 45 milliards d’euros, mais EDF annonce pouvoir le faire pour 25 milliards grâce à la baisse des coûts des panneaux. Sur 60 ans, ce parc solaire coûterait donc au moins trois fois plus cher que la production électrique équivalente à base d’EPR, sans prendre en compte les adaptations réseaux et la baisse d’un coût de série de l’EPR.
Nous pouvons également, tel le gouvernement, voir plus grand, diminuer la part du nucléaire dans la consommation électrique de 72% actuellement à 50% du total, et compenser la différence par de l’éolien et du solaire. En gardant une consommation constante moyenne de 540 TW/an et le ratio actuel de 3/4 d’éolien pour 1/4 de solaire de renouvelables intermittents, il faudrait donc produire environ 90 TWh/an en plus de l’éolien et 30 TWh/an en plus du solaire. Avec les facteurs de disponibilité correspondant, cela implique de construire environ 50 GW d’éolien et 35 GW de solaire. Aux prix actuels d’environ 2 milliards d’euros le gigawatt d’éolien, et de 1,5 milliard d’euros celui du solaire, on arrive à un charmant total d’environ 150 milliards d’euros, encore une fois, sans les adaptations du réseau. Et cela dans le cas où les matières premières, telles que les terres rares, ne voient pas leur coût s’envoler. Et cette somme sera utilisée pour acheter des produits chinois.
Un investissement minimum de plus de 150 milliards d’euros à renouveler tous les 20 ans, soit en moyenne 7,5 milliards à investir par an. Sans prise en compte des coûts externes qui corseraient fortement l’addition. Pour donner une idée de la somme, c’est l’équivalent du coût estimé de construction de deux porte-avions ou de l’organisation des Jeux olympiques, chaque année. Et rappelons-le encore, pour rien !
Dans un pays en déficit chronique et où la population est de plus en plus hostile à toute augmentation de la pression fiscale, comment financer de tels investissements vides de sens ?
Surtout qu’une partie du pilotable (fioul et charbon)[9] devra être remplacé par du nucléaire ou du gaz si l’on veut continuer de diminuer les émissions de CO2 de la production électrique française et éviter les blackouts (pannes générales).
Ainsi, en imitant ses voisins européens ayant déjà probablement gaspillé plus de 1000 milliards d’euros dans les renouvelables pour rien, la France ne se tirerait pas une balle dans le pied, mais dans la tête...nucléaire.